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Magali GUIRRIEC

Communiquer entre générations : une clé pour recruter et fidéliser

Propos recueillis par Elsa EBRARD

Association TRAME, publication : Travaux & innovations (novembre 2022), la revue des acteurs du développement agricole et rural.



Magali GUIRRIEC, psychologue du travail, intervient sur la gestion des générations au sein des entreprises et accompagne les transitions professionnelles.

Selon elle, les innovations ne sont pas que technologiques, mais naissent aussi de relations humaines inspirantes et de coopération entre les générations.


Travaux-et-Innovations : Pouvez-vous présenter votre parcours professionnel ? Magali GUIRRIEC : J’ai obtenu un diplôme de psychologue du travail en 1996 et un DESS de gestion des ressources humaines en 2000. Puis, j’ai travaillé une quinzaine d’années dans le privé et une dizaine d’années dans le public. J’ai créé mon entreprise, YENEA, le 1er décembre 2018 après avoir constaté une double discrimination générationnelle : pour les moins de 30 ans et pour les plus de 45 ans.

Mon entreprise a deux axes de travail. Tout d’abord, la compréhension et la gestion des générations pour des entrepreneurs, chefs d’entreprise qui rencontrent des difficultés au sein des équipes avec des différences de valeur, d’engagement ou de qualité de travail. Pour moi, toutes les générations sont indispensables au cœur de l’entreprise. Le deuxième axe est l’accompagnement aux transitions professionnelles pour des salariés qui viennent d’intégrer une nouvelle entreprise, changent de poste ou des demandeurs d’emploi. Je coache les managers afin qu’ils soient clairs sur leurs besoins et la façon de s’y prendre. J’accompagne aussi les personnes en coaching, en parallèle des accompagnements comptables, juridiques… lors des phases de transmission d’entreprises par exemple.


T. I. : Quelles sont les croyances qui stigmatisent les deux générations ?

M. G. : Concernant les moins de 30 ans, les croyances qu’on entend sont qu’ils manquent de fiabilité, sont compliqués, impatients, exigeants et peu engagés… Pour les plus de 45 ans, les croyances répandues sont : ils ne sont pas capables de s’adapter, ils coûtent trop cher, ils ne sont pas mobiles, ils ne sont pas capables de se débrouiller avec les outils informatiques… J’entends souvent les managers me dire : « Je lui ai expliqué ce que j’attendais », mais très rarement ils me disent « Je lui ai aussi demandé ce qu’il attendait ». Ils pensent ainsi que le fait que le futur salarié s’exprime sur ses attentes est une perte de pouvoir. Alors que non, la relation employeur-salarié se joue dans la réciprocité.


T.I. : En quoi est-ce un enjeu important ?

M. G. : Tout d’abord, on l’a vu dans certains secteurs comme celui de la restauration durant l’été 2022, l’approche du recrutement doit être pensée différemment. Ainsi ce secteur manquait cruellement de saisonniers ; ceci est le résultat de nombreuses années, pendant lesquelles, les employeurs n’ont pas pris soin de leurs collaborateurs et n’ont pas compris que la richesse d’une entreprise passe aussi par ses Hommes ! En agriculture aussi, le problème est de recruter et surtout de fidéliser. Le rapport de force s’est inversé : les actifs ont la possibilité de choisir. Or, l’enjeu est là : il est vital d’avoir toutes les générations au sein d’une même entreprise puisque les entreprises sont le reflet de la société où toutes les générations co-existent. Elles devront changer coûte que coûte. Il faut ainsi prendre le temps de mieux connaître les autres générations. L’enjeu est de taille : d’ici 2025, 75 % des salariés en entreprise seront issus des jeunes générations nées après 1980. Chaque génération a ses talents qu’il convient d’exprimer pour le bien-être de chacun et la performance collective.


T.I. : Et en agriculture ?

M. G. : J’interviens depuis deux ans pour le milieu agricole (Chambre d’agriculture de Bretagne, CETA35…). Comme dans d’autres secteurs, plusieurs générations se côtoient et sont amenées à travailler ensemble sur les exploitations, entre les actifs, les retraités qui donnent un coup de main et les stagiaires. C’est là que des incompréhensions peuvent survenir entre générations : par exemple, le père d’un agriculteur qui ne comprend pas pourquoi son fils souhaite prendre des weekends ou des vacances… La vision du travail n’est alors plus la même.


T.I. : Quelle est la vision du travail selon les générations en agriculture ?

M. G. : Sans faire de généralités, on observe de grandes tendances : la génération née avant la deuxième guerre mondiale a fait du travail le sacrifice de toute une vie. Puis les baby-boomers qui partent à la retraite actuellement, ont recherché davantage la sécurité ; ils sont devenus propriétaires et ont un rapport à la terre très affectif. La génération X, née entre 1960 et 1980, a grandi dans la promesse d’un avenir meilleur et dans le respect de l’autorité. C’est aussi la première génération à avoir voulu concilier vie professionnelle et personnelle. La génération Y, née entre 1980 et 1995, est très soucieuse de son image, plus inventive, impatiente et individualiste ; elle aime donner son avis. Enfin, la génération Z, née après 1995, a grandi avec le numérique. Elle a besoin de reconnaissance, possède des identités multiples sur les réseaux sociaux et au travail, a besoin d’expérimenter. Et la génération Alpha arrive juste derrière… et avec elle, de nouvelles problématiques : par exemple, les enfants font moins d’activités physiques que la génération précédente, de plus en plus d’enfants portent des lunettes…


T.I. : Avez-vous quelques conseils pour les managers pour intégrer les jeunes ?

M. G. : Tout d’abord, les chefs d’entreprise doivent prendre conscience de l’importance de leur réputation, de leur image, y compris sur les réseaux sociaux. En effet, grâce à Internet, les informations sur les sociétés sont davantage accessibles. Ensuite, les jeunes souhaitent de l’interaction et de l’épanouissement au travail. Pour les attirer, il faut leur transmettre le sens du métier… Ils ont besoin d’avoir une vision globale de l’entreprise, de comprendre qu’ils font partie d’un tout. Ainsi, si la personne n’est pas ponctuelle par exemple, plutôt que de lui imposer, il vaut mieux lui expliquer ce que ce comportement peut avoir comme conséquence au sein de l’équipe. Les premiers jours d’intégration dans une entreprise sont nécessaires à prendre en compte car ils sont essentiels pour fidéliser. Il est aussi important de leur laisser le droit à l’erreur. En effet, un nouvel employé va sûrement faire des bêtises et la mission ne va pas forcément être réalisée comme on l’attend. Le jeune souhaitera exprimer sa manière de voir les choses : même si on ne peut pas toujours répondre à ses attentes sur l’évolution salariale par exemple, l’essentiel est de l’écouter. On peut aussi lui demander ce qu’il attend de son employeur ou d’un associé pour davantage de clarté. Les modes éducatifs de ces générations les ont habituées à donner leur avis, à dire « on ne comprend pas » ou « on n’est pas d’accord ». Ils n’acceptent plus d’être dominés et ont besoin d’exister. Le fait de ne pas expliquer pourquoi on fait les choses et de répondre « on a toujours fait comme cela » peut être rédhibitoire. Reconnaître leur travail, leur fiabilité ou leurs capacités est aussi important que leur confier des responsabilités progressivement. Les jeunes cherchent également des personnalités inspirantes. Pour eux, leur projet professionnel doit résonner avec celui de l’entreprise. Enfin, ils sont très attachés aux conditions de travail : plus de télétravail par exemple, prendre en compte les contraintes familiales y compris celles des jeunes papas qui souhaitent davantage s’investir dans l’éducation de leurs enfants...


T. I. : Et pour fidéliser, le CDI semble moins attirer les jeunes ?

M. G. : En effet, ce n’est plus le 1er moyen de motivation. Il peut même apparaître comme une prison pour certains, comme le fait d’être enfermé dans une structure alors que beaucoup ont envie de tester des opportunités. Ils ont besoin de se relancer régulièrement. Les plus jeunes veulent vivre des expériences, avec des objectifs à court terme. Par ailleurs, ces jeunes, par rapport à ce qu’ils entendent dans les médias sur les catastrophes à venir, ont envie de vivre l’instant présent et n’ont pas envie d’attendre la retraite. Ils ont aussi vu dans quel état leurs parents arrivaient épuisés à la cinquantaine et n’ont pas envie de vivre cela. Ou alors leurs parents n’ont connu que l’entreprise et arrivés à la retraite, ils se retrouvent seuls car ils n’ont pas assez entretenu les sphères relationnelles extra professionnelles. Les jeunes qui arrivent souvent dans les entreprises et regardent attentivement où en sont les seniors, c’est un indicateur de leur envie de s’investir dans l’entreprise.


T.I. : Comment accompagnez-vous les entreprises ?

M. G. : En formation, je travaille beaucoup avec un jeu de plateau innovant, maintes fois éprouvé en entreprise. 14 items comme le bien-être au travail, la motivation, le rapport à l’autorité, le type de management… correspondent à des cartes qu’il faut replacer sur le plateau. Le jeu dure une heure environ et permet de discuter des éléments essentiels au sein de l’équipe et entre les générations. L’idée de ce jeu est de faire bouger les croyances, les mentalités, de créer la prise de conscience. Je réalise ces formations, ou également des séminaires ludiques et interactifs, auprès des RH ou des DRH pour les sensibiliser à l’âgisme (1) et aux stéréotypes présents, afin qu’ils les détectent et sensibilisent à leur tour les équipes. En plus des formations, j’interviens dans des conférences, auprès des fédérations professionnelles comme celle du bâtiment et de PME et TPE ou dans le secteur agricole, comme à l’Assemblée générale des CETA 35 en juin 2022. Enfin, il est également possible de me solliciter pour accompagner individuellement des managers dans la gestion des différentes générations au sein de leur équipe.


(1) L’âgisme regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris, fondés sur l’âge.

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